Localisation : Saint Nazaire, Pays de la Loire, France
Equipe : Anastasia Rohaut, Pierre Y. Guérin, Camille Sablé, Sylvain Guitard, Simon Galland,
Surface : 15m²
Budget : 0€
Programme : Cabane
Année de réalisation : 2016
Photographies : saga
Trouvaille
Il est à Saint-Nazaire un lieu désolé.
Un lieu à l’embouchure d’une rivière et d’un fleuve,
A l’embouchure d’un estuaire et d’un océan.
Un résidu gloutonné par des titans de pierre
Et de métal qui l’effacent par leurs grandeurs,
Qui enlèvent le regard du présent vers l’horizon
Du monde et du lendemain.
Un lieu du derrière,
Que l’on ne montre pas,
Qu’on a oublié de montrer,
Mais qui bat au rythme des marées et des ronronnements machiniques.
Un lieu d’une diversité dissonante,
Un lieu qui survit avec ce qu’on a bien voulu lui laisser.
Un lieu qui fait beaucoup avec rien.
Éveil
Ce lieu est un miroir,
Sa nature se retrouve dans la dualité de ce qui l’oppresse
Et qu’il n’est pas.
Ce lieu s’utilise comme il est,
Avec ce qu’il laisse de perméabilité,
Et où s’accroche ce que peut.
Ce lieu contemple sa lente disparition,
Martyr muet ; Voisins tapageurs
Qu’il n’est pas en mesure de combattre puisqu’il n’est rien.
Ce lieu n’est rien.
Et rien d’autre qu’un oubli.
Sa poésie respire dans un état de mélancolie anticipée,
Il est notre avenir,
Il est la force de revenir quand tout est parti,
Il est la pureté naïve de la vie inconsciente,
Il est la fatalité indolente de la paresse.
Ce lieu est pratiqué,
Marins d’eau douce, badauds, égarés, curieux,
Convergent, se ratent, se frôlent, se regardent,
Inopinées rencontres des confins
De la marge du monde,
A côté, en dessous, derrière,
Rien n’incite ici à la ronde,
A priori.
Désir
Ce lieu nous l’avons fréquenté,
Nous y avons vécu en passage,
Et le désir y est né d’y offrir une accroche,
Un lieu dans le lieu, un lieu de contemplation,
Un lieu pour que le temps passe
Moins vite qu’il ne passe autour.
Un sanctuaire de notre propre réalité et de ses dommages.
Action
Ce lieu nous l’avons organisé,
Ponctuellement,
Pierres, bois, terres,
Terres, bois, déchets,
Coquillages.
Ensemble et vite,
Semblant d’une fourmilière improvisée,
Tissé l’esquisse d’un abri.
Sous leurs yeux,
« Zêtes pas bien »
« Y a des caméras partout ici »
« Si y a des problèmes… »
Vieux con.
Sous leurs yeux,
« Bonjour, Police! »
« Ah ouais… »
« J’appellerai plutôt ça une friche industrielle… »
Pas faux…
Ouvert à tous,
Offert aux profiteurs de spleen
Et d’anguilles, nous l’avons imaginé et essayé.
Au coin du feu, une soirée, une nuit et un matin.
A l’abri du monde qui s’épuisait dans notre dos,
Sous les yeux jaunâtres et grésillants
De la modernité et d’un lendemain qui nous questionne.
Bercail
Dès lors, dès ce petit lieu dans ce grand lieu créé,
Instantanément, à la première étincelle de notre foyer,
Les choses ont changé,
Nous n’étions plus perdus, nous n’étions plus nulle part,
Nous étions chez nous.
Renversement.
Dans ce grand rien est né un milieu.
Arrivée et départ de nos rêves et prospectives.
Réveil
Et puis sous leurs yeux,
Dans une ébriété fanée qui sent la cendre froide,
« Bonjour, Police! »
« PC… Signalement… Voitures abandonnées »
« Identités… »
« Bonne journée »
« Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes »*
Les nôtres sont lâches,
Sans doute le meilleur profil,
Mais bien là.
Aussi candide fut l’idée de la cabane,
Elle réside hors des clous.
Nous partons.
Nous reviendrons.
Nous revenons.
Réveil (BIS)
En huit jours tout est parti.
Ci-gît le cadavre de notre cabane,
Et de nos rêves à la con.
Ci-gît le cadavre de notre abri,
Dans le dégueuli d’une tronçonneuse,
Dans la sciure de notre naïveté,
« Putain! »
Le silence conclura notre étourdissement.
Nous nous sentons blessés,
Punis,
Petits,
Pas bien…
Nous remettons de l’ordre,
Machinalement rangeons les pierres qui restent,
Redressons une branche là où trônait notre rêve,
Un bout de bâche en guise de drapeau blanc.
Et un mot,
Écrit au doigt dans les coquillages, noir sur blanc :
« VAINCU MAIS PAS MORT. »
Revendication charnelle de notre humiliation,
En vain.
Quiconque est responsable de ce massacre,
Nous a rappelé quelque chose d’essentiel :
Il est bien dommage de se croire chez soi sans y avoir été invité.
Si désolé ce lieu puisse paraître, il ne l’est pas.
Il appartient à ceux qui y sont habitués.
Il appartient à ceux qui le laissent n’être rien,
Qui le laissent de rien être.
Qui n’en font rien, mais qui le vivent comme tel.
A ceux qui ont fait la même démarche
Que nous mais dans d’autres desseins.
A ceux qui habitent ce paysage et que nous avons choqué
Par la prétention de leur faire découvrir un lieu
Quand c’est nous qui le découvrons.
Nous pensions être chez nous,
Nous étions chez eux.
A la violence de notre impérialisme poétique,
La violence de l’indigène s’est levée,
S’est défendu,
Pour ce qu’elle cultive en modestie,
Sans doute, et sans conscience,
Peut-être, dans la querelle les répliques
Tonnent et se répondent.
Dans la marge, un dialogue est né.
Il est à Saint-Nazaire un lieu qui semble désolé.
Un lieu à l’embouchure d’une rivière et d’un fleuve,
A l’embouchure d’un estuaire et d’un océan…
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* Rosa Luxembourg